Chassez le Naturel
Rencontre avec Pauline Dupin-Aymard écrivaine, artiste et éditrice de Chassez le Naturel. Elle se nourrit de l’engagement des autres pour le partager ensuite à travers ses mots, ses textes et ses peintures.
Que cultivez-vous ?
Je pense que je cultive, sans y arriver toujours, la liberté d’être moi-même. J’essaye de cultiver le temps aussi, ralentir, prendre le temps. On doit le vivre dans nos activités. J’essaye de cultiver la simplicité, d’être satisfait et heureux des choses proches de nous, accessibles et réalisables.
Vous vous définissez comme écrivaine et artiste ?
J’ai du mal à me définir, c’est pour moi difficile depuis le début. Et Chassez le Naturel ne peut pas être rangé dans des cases car je veux aussi cultiver le mouvement et la fluidité. Je pourrais dire artiste car l’écriture est un art mais ce n’est pas si évident que cela pour moi.
Écrivaine pour appuyer sur l’importance des mots ?
J’ai vraiment le lien avec le mot, tout part de là et ensuite tout le reste arrive petit à petit et ça me plait.
Comment est né le projet Chassez le Naturel ?
J’ai fait des études de lettres à Paris, ensuite une école de commerce et j’ai commencé à m'intéresser aux vins. L’écriture est alors passée au second plan. J’ai fait mon chemin dans le vin, des rencontres, et j’ai ouvert un bar à vin à Paris avec deux associés. J’étais assez jeune, je découvrais tout et après une période compliquée je me suis retrouvée seule dans le bar à vin. Cela m’a obligée à me positionner par rapport au vin, apprendre à me connecter sur ce que je pouvais ressentir et comment en parler avec les gens. Ensuite je suis partie faire un an de restauration à Londres puis je suis rentrée épuisée. Et l’écriture est revenue dans ma vie.
Sur le parcours des vins natures ?
C’est ce qui me parlait le plus. J’ai fait des salons et échangé avec des vignerons mais j’avais besoin d’aller à leur rencontre et voir comment on fait du vin. Alors j’ai acheté une fourgonnette et j’ai passé du temps avec eux. J’ai écrit mes premiers textes sur le site chassezlenaturel. Et au fur et à mesure des rencontres et des moments forts les textes ont évolué et mon écriture s’est libérée.
Et ensuite le fanzine, livre ou recueil Chassez le Naturel ?
Au départ je disais magazine car c’est ce que je voulais faire mais aujourd’hui je dis livre mais il y a aussi des petits formats plus bruts que j’appelle fanzines. J’ai édité le premier livre en 2019 pour passer du site web au papier et éditer mes longs textes car j’avais besoin que cela reste. J’avais envie de cette publication qui parle du vin mais pas que du vin. Ce sont des rencontres avec des vignerons mais aussi maraîchers ou autres, entrecoupées de textes plus intimes.
À boire, à manger, à regarder et à lire ?
Le vin c’est avant tout une rencontre, je l’ai appris et compris comme ça. Quand tu es à table autour de la bouteille, tu parles de beaucoup d’autres choses.
La bouteille fonctionne comme un prisme ?
Exactement, c’est un prétexte pour parler de bien d'autres choses, la ruralité, les vies, les enjeux, les liens…Si l’on regarde le chemin parcouru depuis quatre ans j’ai beaucoup mûri en absorbant toute cette philosophie sur leur façon de cultiver la terre, de vivre, d’être avec les autres, ce sont des engagements presque politiques et tout cela m’a construite. C’est finalement déjà bien plus que du vin et j’ai envie d’élargir encore plus.
Chaque livre doit ressembler à ce que vous vivez ?
Chaque livre correspond à des périodes de ma vie, comme un témoin. Un auteur disait “l’écrivain est juste le lieu d’exercice”. C’est pareil pour moi, tout ce que j’écris c’est tout ce qu’on m’a donné. Quand tu plonges dans un livre Chassez le Naturel, tu plonges dans mon voyage et mon univers. A chaque fois que je rencontre l'autre, cela m’apporte une nouvelle vision sur une partie de moi-même. Il y a un vrai échange avec chacun.
J’ai posé Chassez le Naturel #4 à côté du livre La France de Raymond Depardon.
C’est rigolo car j’ai commencé à m’intéresser à son travail il n’y a pas longtemps avec la lecture du livre “Errance” et le visionnage de quelques films qu’il a réalisés. Je trouve sa démarche passionnante. J’adore comme il pense l’image et le rapport aux autres. Il fait une rencontre avec l’endroit où il est comme avec lui-même. Il est inspirant, c’est magnifique.
Combien de temps faut-il pour créer ?
En ce moment cela me prend beaucoup de temps. Il faut que j’aille chercher autre chose et je ne sais pas encore ce que c’est.
Vous avez garé la camionnette pour vous installer en Alsace ?
J’avais besoin d’avoir un endroit. Après Londres j’avais besoin de tout vider, je n’avais pas d’espace c’était minimaliste et je me sentais libre comme jamais. Mais un jour cette liberté devient une chaîne. Après avoir tout déconstruit, j'avais besoin de construire à nouveau. Il faut d’abord accepter le vide, et ce n’est pas facile.
Garder les pieds sur terre ou avoir la tête dans les nuages ?
J’adore cette image car c’est la vigne, les arbres, un besoin de racines. Cela fait un an que je suis en Alsace avec des proches, un univers, un chez-moi, des projets. J’avais peur que cela me ferme mais cela m’a permis d’éclore à nouveau avec la peinture, les petits fanzines. Maintenant que j’ai des racines, comment faire pour avoir une nouvelle canopée ? Il faut accepter que cela prenne du temps. Mais quand tu te reconnectes à la nature, la patience est partout.
Et la peinture ?
C’est comme passer du site web au papier. Dans le texte il y a quelque chose d’un peu cérébral et j'ai besoin d’avoir quelque chose qui ait une existence physique. Écrire des mots avec de la couleur c’est comme une incarnation. Cela fait longtemps que j’écris sur des grands formats (A1) et j’écris souvent par terre, allongée. Quand le corps est tordu il y a quelque chose de plus vibrant. Ça m’éclate d’écrire en géant car le texte c’est aussi des couleurs, une musique, une harmonie. J’ai besoin d’apporter aux mots cette autre dimension. J’adore les mots comme Effluve ou Souffle avec leur grandes lettres à dessiner.
Un évènement à venir ?
Je serai en résidence chez Dame Jane dans le quartier de Belleville à Paris du 3 au 6 mai avec des copains du restaurant Native à Perpignan. On prépare des nappes sur lesquelles je peins. Et aussi avec Karla Sutra qui fait des dessins érotiques sur des assiettes. C’est aussi très en lien avec ma démarche, c’est la fluidité, on a envie de mélanger la cuisine avec l’art. Et le D'SUMMER FACHT ! les 10 et 11 juillet, un salon organisé par la VLA (les Vins Libres d’Alsace) pour lequel je fais pas mal de petites choses comme la signalétique ou tes t-shirts peints à la main.
On peut aussi commander vos toiles, fanzines et t-shirt ?
Tout est sur le site chassezlenaturel.net
Votre regard sur PAïSAN ?
Je trouve que c’est assez rare d’avoir des démarches qui sont à ce point là vraies. Ce n’est pas seulement une production d’objets qui seraient bien faits, cela va plus loin. Il y a aussi cette démarche d’aller créer un maillage tout en liens.
Et si nous proposions une collaboration ?
Ensemble ?! Ben oui, carrément ! Ce serait bien d’écrire sur la Poche.
Un objet du quotidien ?
Même si ce n’est pas exactement tous les jours, je pense que c’est quand même un carnet et un stylo. D’ailleurs c’est peut-être une idée pour PAïSAN, un beau carnet avec du papier de qualité… On n’en trouve pas tant que ça.
Vous avez écrit “Prendre le temps de peser chaque geste”.
Mais je n’y arrive pas tout le temps ! J’aimerais bien mais c’est une quête.
Un geste du quotidien ?
Tout est dans la tentative… Essayer de respirer, de peser le geste, de regarder, de ressentir… Mais aussi, je crois que depuis que je suis installée en Alsace, le geste quotidien c’est aussi cuisiner. Se nourrir. Avec des choses très simples au quotidien. Mais prendre le temps de se faire un bon café, de cuisiner quelque chose qui fait du bien à midi, un apéro le soir… Le contact avec la nourriture c’est un geste quotidien pour moi. C’est aussi pour ça que j’adore ma liberté de mouvement dans mon activité. Pas besoin de manger toujours vite fait, toujours dehors des sandwichs, des restos etc. Mais prendre le temps de se nourrir correctement, en fonction de ce que demandent le corps et la tête...
Un lieu à nous faire découvrir ?
L’Alsace déjà ! Et le Restaurant Enfin à Barr (67), un super restaurant avec des produits du coin, le lieu est magnifique, une cuisine pointue, et une culture de la beauté. Essayer d’avoir la beauté autour de soi c’est une vraie idée politique et c’est ce que fait ce restaurant.
Un lien pour une prochaine interview ?
Le vigneron Julien Albertus du domaine Kumpf andamp; Meyer.
Cultivez le lien en retrouvant Pauline Dupin-Aymard
sur Instagram @pauline_dupin_aymard
sur Internet chassezlenaturel.net
Crédit photo portrait : Camille Huguenot