Les arbres et les enfants de Marie-France Barrier
Que cultivez-vous ?
A travers Des Enfants et des Arbres, je pense que je cultive la foi en demain. La foi dans notre capacité à transformer les défis qui nous font face en opportunités. On cultive la confiance en soi, la confiance dans le collectif. Il faut aussi cultiver la réconciliation, déjà avec soi-même et avec le vivant et la nature.
Quelles sont les missions de l’association ?
Inviter la société civile à prêter main forte au monde agricole dans sa transition. Convier la jeune génération à planter des haies et des arbres en agroforesterie avec les agriculteurs de leurs territoires. Créer des synergies pour accompagner le monde agricole tant financièrement que techniquement qu'humainement.
Avec quel objectif ?
Que le monde agricole se remette à travailler avec la Nature dont l’arbre. Passer d’un modèle qui épuise nos ressources et nos agriculteurs à un modèle qui agrade nos ressources et valorise nos agriculteurs. Et cela doit être un projet de société. Ce n’est pas juste au monde agricole de faire cette transition. Il faut que l’action de planter un arbre entre dans le programme scolaire, aussi fondamental que Thalès, Pythagore, la naissance de l'Empire Romain ou la maîtrise du Plus que Parfait.
Savoir planter un arbre veut dire comprendre à quoi ça sert ?
Exactement, avoir conscience que l’on est tous acteurs du paysage, tous impactants sur le territoire.
L’histoire a commencé avec le documentaire “Le temps des arbres” ?
En réalisant le film et après avoir écouté les agriculteurs et les acteurs de ce milieu, cela m’est venu comme une évidence. Dans le film je relaie cette étude qui dit qu'il faudrait planter 25.000 km de haies par an d’ici 2050 pour atteindre les objectifs des accords de Paris. Or ces gens avec qui je travaille qui sont des pionniers qui essayent de faire revenir l’arbre dans les pratiques agricoles et dans les paysages arrivent à replanter 3.000 km de haies par an…quand 10.000 continuent d'être arrachés sur la même période ! Donc on continue de reculer. Face à ce constat je me suis dit que je n’arriverai pas à me contenter d’être journaliste ou réalisatrice. Il fallait que je transforme mon expérience d’observatrice. L’association Des Enfants et des Arbres a été créée pour transformer le film en mouvement citoyen. Le film est la bande annonce de ce que je rêve de coécrire avec la société au sens large.
La solution c’est l’agroforesterie ?
L’agroforesterie est une pratique ancestrale qui associe les arbres aux cultures ou à l’élevage. C’est l’idée que l’arbre est un partenaire millénaire des agriculteurs, c’est lui qui nourrit le sol, qui participe à prendre soin du premier outil de travail de l’agriculteur : le sol. L’agroforesterie a disparu ces cinquante dernières années, avec le remembrement ce sont 700.000 km de haies qui ont été arrachées, considérées comme un obstacle à la modernisation des pratiques. On mesure aujourd’hui combien l’arbre, ce génie de la création, n’était pas juste un obstacle aux machines mais il participait bien à produire.
Dans le documentaire il est dit “on peut produire et protéger”.
C’est l'idée clef : réconcilier deux thématiques qui semblent être antagonistes. Il faut produire car nous sommes nombreux mais il ne faut pas mettre sous cloche la Nature. Avec l’agroforesterie, l’agriculteur reprend sa place dans un écosystème plus large. Il accepte de retravailler avec l’arbre, se remet dans une équipe, il se remet à “colabourer”, au sens labeur, en faisant revenir cette bande qui va du ver de terre, au mycélium, au champignon, à la mésange, à la chauve-souris, au rapace. Chacun vient avec sa compétence pour apporter de la fertilité et avec le moins de travail, le moins de dépense et le moins d’intrants possible. Pendant longtemps nous étions à côté du vivant, avec l’agroforesterie l’agriculteur qui est le miroir de notre société devient chef d’orchestre du vivant.
Cultiver ne veut pas dire exploiter.
Cultiver c’est révéler, l’exploitant agricole redevient paysan et dessine le paysage. L’horizon passe d’un encéphalogramme plat à des paysages vivants multi-étagés avec des couleurs et des saveurs.
L’agriculteur peut-il avoir des aides ?
Il y en a de plus en plus, et surtout en ce moment. Et puis il y a Des Enfants et des Arbres. Le diagnostic c’est “quels sont les freins qui empêchent les agriculteurs de bouger ?”. Le frein financier est le plus important. Alors nous finançons jusqu’à 2.400 € par plantation, ce qui représente 300 m de haies. L’autre frein c'est la main-d'œuvre. C’est là que nous intervenons pour apporter des bras avec les jeunes générations. Il y a aussi le frein émotionnel car ils sont bloqués dans leur position. Les discours du moment les laissent à la porte. Ils se sentent exclus. Nous plantons donc avec des bios et des conventionnels pour ne pas polariser. L’agroforesterie est compatible avec les grandes cultures. Il faut se réconcilier avec notre monde agricole, apprendre à l’aimer même s’il n’est pas comme on aimerait qu’il soit car nous ne le sommes pas nous-mêmes.
Comment embarque-t-on les institutrices et instituteurs ?
Je sélectionne les agriculteurs et ensuite ce sont eux qui font les démarches auprès des écoles qui sont généralement ravies d’avoir un projet pédagogique clé en main.
Les prochaines plantations ?
En Nouvelle Aquitaine et en Occitanie la semaine prochaine. On organise 60 plantations agroforestières, scolaires et solidaires partout en France pour cette deuxième année. Et notre prochain objectif c’est 100 plantations et 20.000 arbres.
Comment vous aider ?
En participant à la campagne actuelle sur Ulule et en regardant le documentaire accessible sur notre site via 5€ reversés à l’association.
Un objet du quotidien ?
Ma gourde en inox.
Un lieu à nous faire découvrir ?
Le Massif du Néouvielle dans les Pyrénées.
Un lien pour une prochaine interview ?
AP32, Arbres et Paysages 32, la structure créée par Alain Canet, que j’appelle Tonton Planteur, la première personne à qui j’ai parlé du projet. Cela fait 30 ans qu’il travaille sur cette thématique.
Votre regard sur PAïSAN ?
La façon dont vous vous présentez sur cette idée de créer du lien entre des paysans, la société civile, les villes et les consommateurs montre que nous sommes sur les mêmes logiques de créer des synergies et un écosystème commun. On est tous reliés à nos paysans. On a la même vision.
On vous appelle Marie-Branche.
C’est le surnom que m'a donné un pote et ça me va bien.
A-t-on oublié une question ?
J’aimerais juste ajouter que notre monde agricole a besoin d’amour, de douceur et de tolérance. Pour changer, le monde agricole a besoin de sentir qu’on l’aime. Comme un enfant en fait.
Cultivez le lien en retrouvant Des Enfants et des Arbres
sur Instagram @desenfantsetdesarbres
sur Internet desenfantsetdesarbres.org