La magie de l’Atelier Pariah
Que cultivez-vous ?
Je cultive l’attention et la cohérence.
Où sommes-nous ?
Dans mon atelier qui était avant mon magasin “Fée du vélo”. C’est devenu mon show-room avec mon atelier de fabrication juste à côté. Et on est chez moi parce que j’habite au-dessus.
On dit artisan cadreuse ou artisan du cycle ?
Les deux car je fais partie du monde du cycle et je me suis spécialisée dans la fabrication de cadres. Quand je me présente je dis Artisan-Cadreuse.
La seule en France ?
Oui. Mon atelier de fabrication a deux ans et je fais essentiellement du cadre.
Comment peut-on passer de Fée du Vélo à Pariah ?
Fée du vélo c’était un accident, j’en veux à mon entourage de m’avoir laissée appeler le magasin comme ça, je ne supporte plus ce nom. Et puis Pariah parce que cela me représente plus, même si cela a un côté péjoratif et agressif.
Un atelier de création de cadres ?
Je suis passée de commerçante à artisan. Et c’est mieux. Parce que je suis avant tout une technicienne, j’aime travailler avec mes mains et les matériaux.
Vous êtes une enfant du Single Speed ?
Oui, mono-vitesse. Je suis une enfant de l’objet épuré, simple d’entretien, facile, réactif et pas cher.
Quel a été l’élément déclencheur ?
Suivre une initiation d’une semaine sur la fabrication de cadre chez OTM Bike au Danemark. Et puis à mon retour tous mes proches m’ont encouragée à faire ça. J’étais décidée mais c’est une décision à prendre à plusieurs que de se mettre à son compte.
A quoi reconnaît-on un vélo Pariah ?
Il n’a pas de peinture, il est brut. On voit mes soudures. Je suis partie sur l’idée de travailler le matériau en lui-même. Ce sont des traitements que l’on voit souvent dans l’artisanat d’art, chez les ferronniers d’art.
Rendre visible l’invisible ?
Redonner une valeur à ce que l’on cache habituellement avec la peinture, la laque et le vernis. Révéler le travail et la main, les imperfections parce que l’artisan n’est pas une machine, les petites erreurs parce qu’il y en a aussi. Ça me plaît que les choses racontent des choses.
Un atelier à Nevers en plein centre de la France ?
Et bien je pense que c’est mieux d’être au centre de la France avec le moins d’interférences extérieures sauf d’être dérangée par des amis donc ce n’est pas vraiment être dérangée. Et puis il y a les réseaux sociaux. J’ai des commandes d’avance. Je pige également pour un magazine. Je vais et puis on verra.
Les différentes étapes de la fabrication ?
Rencontre avec le client pour construire le cahier des charges avec les prises de mesure ; le devis, en intégrant l’équipement (transmission, freinage etc) ; ensuite la géométrie suivant les cotes de la personne et validation avec le client ; achat des matériaux, des tubes en acier et des pièces détachées ; et enfin livraison et essai du vélo avec la personne et après il part faire sa vie !
Le travail du cadre en lui-même ?
Découpe des tubes suivant la géométrie, assemblage sur le jig qui sert à placer les tubes, ensuite les premiers pointages de brasures, puis les premiers filets qui vont consolider. Je place mon cadre sur mon marbre pour vérifier que je suis bien droite, parallèle et centrée. Je fais mes filets finaux qui sont plus épais. Et après je fais mon traitement Pariah, je travaille le matériau pour lui donner une patine.
Le coût de l’acier a augmenté ?
Oui de 30%. Le prix de la matière première pour souder, le transport, tout a augmenté. Mais je n’ai pas modifié mes prix sur le cadre en lui-même.
Combien de temps de travail pour chaque vélo ?
Ma valeur ajoutée c’est que je ne compte pas mon temps.
Vous avez disposé sur le sol les différents tubes pour un même vélo.
Et la légende dit : “voici le futur vélo de Jean-Yves”. C’est pour insister sur le côté magique, on part de neuf tubes et à la fin on a un cadre personnalisé pour une personne, un objet unique, c’est magique. Déjà le fait rien que le fait de faire des vélos c’est magique.
On comprend que vous aimez la matière en acier.
Oui, j’aime la matière et j’aime toutes les étapes de travail au préalable. Mon compagnon me dit souvent “tu ne devrais pas poster cette photo c’est sale” ! Mais non, cela fait partie de mon travail, il y a de la salissure et j’aime les aspérités et les choses pas contrôlées.
On dit “C’est propre” quand c’est bien fait !
Exactement, toutes ces choses font partie de la beauté des matériaux.
Et si c’était un autre matériau ?
Le titane.
Le recyclage est un sujet ?
Pour moi oui. J’aime bien l’idée qu’on récupère des pièces qui ont fait leur preuve et qui ne sont pas usées.
Et la conversion ?
J’ai commencé avec ça, en partant de cadres de vélos des années 80 que je dépouillais et transformais en pignon fixe ou en single speed ou vélo de ville avec un porteur. On peut travailler à partir d’une base de cadre triangle. J’ai refait des triangles arrière pour faire des passages de roues plus grands. Pour la roue avant il faut juste changer la fourche. Sur le métal on peut ajouter des fixations pour porte-bidon, des passages de gaines de freins…
Vous avez fait un Tall bike pour votre fils aussi ?
Oui, on en a tous un dans la famille. Mon compagnon est perché à 2,50 m quand il est sur le sien.
Le vélo actuel ?
Je travaille sur un vélo type gravel. La cliente a demandé de passer tous les câbles dans les tubes donc c’est une difficulté supplémentaire. C’est la première fois que je le fais et je n’ai pas le droit à l’erreur, j’avance avec précaution.
C’est quoi “Gruger” ?
Gruger c’est découper les tubes en forme de gueule de loup pour que les tubes s'emboîtent les uns dans les autres. Ce sont des découpes arrondies. La gruge doit être parfaite pour que le métal d’apport colle bien les deux jonctions.
Vous dîtes “je suis toujours étonnée qu’on s’intéresse à moi et que l’on me commande un vélo” ?
Oui cela fait partie de la magie en fait. Je suis présente sur les réseaux sociaux car j’ai besoin d’être certaine que les gens savent à qui ils confient leur projet. Je ne suis pas seulement un nom ou un style mais une personne. Je suis une femme, je suis noire, j’habite au milieu de la France. J’ai une culture plutôt musique punk et sports de glisse. Je veux qu’on me connaisse avant de me confier un projet.
Qui sont vos clients ?
C’est assez varié. Mes premiers clients sont des gens qui me suivent depuis longtemps, j’entretenais leurs vélos et ils m’ont encouragée avec cette première commande. C’est un couple et j’ai fait deux vélos au montage identique, seule la géométrie était différente. J’ai des clients qui viennent d’un peu partout en France. Ils n’hésitent pas à faire le voyage pour me rencontrer, ça m’impressionne à chaque fois. Ce sont tous des passionnés, pas des compétiteurs, des gens qui ont économisé, qui voyagent à vélo et qui veulent le vélo ultime fabriqué pour eux. Dernièrement un étudiant est arrivé avec ses économies et m’a dit “je veux un Pariah”. Alors là c’est génial !
Quel vélo utilisez-vous ?
Je suis plutôt mono-vitesse avec un 42/17, la simplicité qui passe partout. Sinon je reprends du plaisir à faire de la route depuis un certain temps et je parcours mes routes de campagne. J’ai de la chance car j’ai un réseau routier énorme avec peu de circulation et des routes propres.
Si vous deviez graver un mot sur votre vélo ?
Je propose toujours de graver ou de peindre un mot ou une phrase, une signature personnelle, sur les vélos que je fabrique. Au début j’aimais beaucoup “Vive l’amour fou”, cela met les gens mal à l’aise.
Quel regard sur PAïSAN ?
J’ai retenu une phrase sur votre site que j’aime beaucoup : "Étymologiquement, Cultiver vient du latin Colere”. Je ne savais pas, et souvent les gens pensent que je suis en colère mais c’est une colère créatrice, salvatrice qui me sert beaucoup. Donc cela m’a rassurée. Il faut redonner de la valeur positive à tous ces mots péjoratifs. On ne doit plus avoir peur d’être en colère.
Comme de rendre positif le mot Pariah ?
Il n’y a pas de mot moche, ils disent tous quelque chose.
Un objet du quotidien.
Mes baguettes ! C’est le pignon fixe de l’alimentation, elles me suivent partout.
Un livre à nous conseiller ?
J’en ai deux que je lis régulièrement et je viens de me rendre compte qu’ils ont été écrits tous les deux par des journalistes. “Born to Run” de Christopher McDougall pour le rapport avec le sport. Et “Jours barbares” de William Finnegan pour sa quête du spot de surf idéal qui lui a fait parcourir le monde.
Un lieu à nous faire découvrir ?
Le Donald’s pub à Nevers. On y rencontre tous nos amis, les anciens et les nouveaux.
Un lien pour une prochaine interview ?
Xavier Warnant, “À La Tapisserie”, à Nevers, un artisan tapissier qui a de l’expérience et de belles convictions, son atelier est magnifique.
“Avance, toujours avec prudence.”
Oui, c’est un leitmotiv. Je l’applique plus facilement avec l’âge.
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