Les pignons peints de Tristan
Que cultivez-vous ?
Je cultive l’amour du travail bien fait, l’application, la passion, donc plus généralement l’artisanat. Mais j’ai aussi un potager dans lequel je cultive des pommes de terre et des haricots verts !
Comment définir un peintre en lettres ?
Un peintre en lettres est un artisan qui peint à main levée tout type de lettrages sur tout type de supports. Il va apprendre la théorie de la lettre, les dimensions et les proportions. Il saura ensuite les appliquer soit à la peinture soit à la feuille d’or sur des supports variés. Cela peut être un grand pignon d’une façade, un petit lettrage en feuille d’or sur une vitrine ou sur un véhicule mais principalement pour des enseignes de commerçants.
Il faut d’abord être un amoureux de la typographie ?
Je parlerais plutôt de lettrage, de spontanéité, de fait-main, de l’amour des belles lettres. Je ne vais pas créer tout un alphabet de A à Z mais six ou sept lettres avec un style qui sera venu spontanément.
Le style choisi dépend-il du type du lieu ?
Le style de lettrage passe un message. En fonction de la typo utilisée, on va se retrouver dans une époque ancienne ou moderne, en fonction des couleurs utilisées, des empattements, et on va avoir des codes à respecter, par exemple du rouge pour une boucherie, c’est très important de bien choisir son lettrage et ses couleurs.
On imagine un artisan à la retraite qui entretient un savoir-faire qui se perd, mais vous êtes tout jeune.
A ma connaissance nous devons être une cinquantaine d’actifs en France donc cela a quasiment disparu. On apprend en autodidacte, il n’y a plus de formation. A l’époque, il y avait des peintres en lettres dans chaque commune avant que les ordinateurs et imprimantes n’existent. J’ai organisé les portes ouvertes de mon atelier il y a quelques jours et un jeune de 17 ans m’a dit “Mais je ne pensais pas qu’un jeune pouvait faire un métier aussi vieux, c’est génial !”. Et oui il y a une nouvelle génération de peintres en lettres qui casse un peu les codes ou l’image que l’on peut avoir de ce métier.
Qui est Pierre Tardif ?
Pierre Tardif est québécois et un des peintres en lettres le réputé mondialement, cela fait plus de cinquante ans qu’il peint des lettrages. Il donne des cours un peu partout dans le monde. On l’a fait venir en Bretagne il y a deux ans. Il a son style bien à lui et sait très bien manier le pinceau.
Vous intervenez dans les écoles ?
Cela m’est arrivé il y a quelques jours pour la première fois. J’ai plusieurs projets d’intervention dans les écoles. C’est hyper important de faire connaître ce métier qui a quasiment disparu aux enfants. C’était un vrai plaisir, je ne pensais pas que les enfants poseraient autant de questions, allaient se prêter autant au jeu. Pendant que je parlais, certains griffonnaient déjà des lettrages suite à ce que je disais donc j’ai eu de beaux cadeaux à la fin de mon intervention.
Votre plus beau souvenir de façade ?
Sur ma courte carrière de deux ans et demi, mon plus beau souvenir c’est le grand pignon pour Rustines dans la commune de Grand-Champ où j’habite dans le Morbihan. 6m de large par 9 m de haut, mon premier grand pignon, donc quand on se retrouve au pied d’un mur aussi grand, on a un petit peur sur le rendu final. Mais après sept jours de travail acharné, en est sorti ce grand pignon qui a fait énormément d’échos et on m’en parle encore un an après.
Et si on restaurait toutes les publicités sur pignon ?
Il y a une ou deux associations en France qui veulent restaurer ou au moins conserver ce qu’il en reste. A l’époque il y en avait tellement... Suze, Dubonnet engageaient des armées de peintres en lettres pour recouvrir les pignons disponibles. Moi je suis convaincu que si une entreprise se remet à communiquer via des pignons peints plutôt que de faire des affichage en 4x3, elle ferait un buzz incroyable.
On rencontre plus de façades peintes dans les petits villages ?
Il reste quelques vestiges mais par exemple dans le Morbihan, que je connais bien, toutes les petites bourgades sont dénaturées par toutes les enseignes en plastique. On ne respecte plus du tout l'architecture du bâtiment, et on a toujours des centre-villes qui sont les mêmes, tout est uniformisé, on a perdu tout ce caractère. A Rochefort en Terre par exemple, il n’y a que des enseignes peintes. Alors les gens disent que l’architecture est belle, c’est vrai, mais c’est parce qu’ils ne sont pas pollués par les enseignes en plastique.
Vous n’intervenez que sur la Bretagne ?
On a des demandes un peu partout en France mais on essaye de rester sur le local car il y a des peintres en lettres partout sur le territoire. Mais on a un grand champ d’action qui va de Nantes à Brest et on s’autorise des sorties comme cette année dans l’Est de la France, à Dijon puis à Thionville.
Je vous ai vu aussi baptiser un bateau !
Oui, c’était le bateau de Grain de Sails, pour les amateurs de chocolat qui mangent des petites tablettes. Ce bateau va chercher des fèves de cacao en Amérique du Sud, donc zéro empreinte carbone. J’ai eu la chance d’être contacté par leur équipe pour baptiser leur premier voilier.
Le rêve le plus fou ?
J’ai grandi à Belle-île-en-Mer donc je suis très attaché à la mer et au bateau. Mon rêve le plus fou serait de peindre un phare ! Si je n’étais pas peintre en lettres je pense que je serais pêcheur.
Et cette fourgonnette ?
C’est une Citroën Acadiane avec laquelle je roule pour les chantiers locaux.
C’est quoi une canne de peintre ?
Une canne qui me sert à tracer mes lettrages, c’est une technique utilisée surtout en Angleterre. Dans ma main gauche j’ai ma canne, dans ma main droite j’ai mon pinceau. J’appuie ma canne sur mon support et je pose ma main droite sur la canne. Ma main droite ne touche pas le support, ensuite c’est avec cette main droite que je mets une pression avec mon pinceau sur le support à peindre, et ma main gauche va descendre pour faire le geste. Cela évite le tremblement et permet d’avoir des lignes nettes. Au début c’est très difficile de coordonner les mouvements, c’est un peu comme un batteur.
La prochaine façade ?
J’essaye de jongler avec la météo mais je vais avoir la façade d’un salon de thé à Vannes et à suivre un autre grand pignon de 12 x 5 m pour l’école de Grand-Champ, on aura un deuxième grand pignon peint à Grand-Champ !
Quel type de peinture utilisez-vous ?
Pour les grands pignons j’utilise tout simplement de la peinture acrylique comme pour les ravalements. Pour tous les autres types de lettrage, sur boiserie, vitrages ou boiseries c’est la peinture qu’utilisent tous les peintres en lettres, la 1Shot, une peinture à l’huile émaillée qui devient très dure et opaque lorsqu'elle sèche.
Vous ferez la façade du Pop-Up PAïSAN en Bretagne ?
C’est un grand oui ! Je monte dans la voiture, elle démarre.
L’objet de votre quotidien ?
Ma canne de peintre, ma palette et mes pinceaux. Je prends extrêmement soin de mes pinceaux car ils sont très fragiles. Ils sont en poils naturels, souvent en martre, on appelle cela “ martre du peintre en lettres”, ou alors en écureuil. Ce sont des poils très longs qui permettent d’avoir une bonne réserve de peinture et d’avoir de longues lignes continues. Les lettres sont tracées en un seul geste.
Où vous fournissez-vous ?
Il reste une entreprise en Bretagne qui fabrique des pinceaux, c’est un savoir-faire que l’on a totalement perdu en France. On était à la pointe avant. Il ne reste plus que l’Atelier Léonard avec cinq gammes de brosses à lettres.
Un lieu à nous faire découvrir ?
Je vous enverrais du côté de Bénodet, au Bateau Libre, c’est un hôtel réhabilité par Jean-Etienne Gourvès. On y mange très bien, on y dort très bien et le cadre est vraiment top.
Un lien pour une prochaine interview ?
David Deroy, à Vannes, il est luthier, un artisan passionné par son métier dont il peut parler pendant des heures.
Ai-je oublié une question ?
Un petit clin d'œil à la marque Le Laboureur, une marque de vêtements dont je suis le premier ambassadeur. On est sur la même longueur d’onde, des jeunes qui veulent retravailler le local et ne pas perdre ces savoir-faire français. Leurs valeurs sont très proches de celles de PAïSAN.
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