Filatures optiques

 

Que cultivez-vous ?
Je cultive le plaisir, la passion, la liberté grâce à l’art optique et ma pratique artistique.

Vous peignez, tracez et tendez des fils ?
C’est la pratique de l’art optique, jouer avec des formes simples pour en faire quelque chose de compliqué. Jouer avec des couleurs et donner un jeu à l'œil humain, que le spectateur en fasse son interprétation, qu’il se projette et prenne du plaisir à découvrir des choses simples.

Simple ou compliqué ? 
C’est simple par sa pratique. N’importe qui est capable de prendre un compas, une règle et un crayon. Ce qui est compliqué c’est de réussir à composer une œuvre qui ne soit pas juste un amas de lignes ou un amalgame de couleurs. Cela démocratise cette forme d’art car elle est intelligible par tout le monde, capable de reconnaître un carré ou une ligne. Cela appelle aussi des choses de l’enfance, les spirographes, les tableaux de fils.

Le plus important est de générer une émotion ?
Mon travail doit faire transparaître ma propre émotion que les gens perçoivent et reçoivent. Si ce n’était que mécanique ce serait complètement dénaturé. C’est pour cette raison que je produit à la main et que je n’utilise pas l’ordinateur.

Vous avez senti l’âme de tous les gens qui travaillaient sur la transformation des fibres ?
Une forme de quiétude hyper propice au travail. Nous sommes restés là-bas quatre jours avec Ludovic Le Couster, le photographe avec qui je travaille et c’était une très belle expérience.

Saviez-vous que la France, et particulièrement la Normandie, est la première région au monde pour la production de lin ?
Je l’ignorais totalement. Alors c’était probablement une ancienne filature de lin.

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Votre fil est-il revenu à la source ?
C’est la première fois que je fais une installation dans une filature. Je n’ai pas fait cette connexion mais elle est plutôt pertinente.

Quels types de fils utilisez-vous ?
Pour toutes les installations spontanées et éphémères, je travaille avec du coton mercerisé parce que je sais que si quelques fils restent il n’y a pas de risques pour la nature. Sur les installations destinées à être visitées par le public, je n’interdit pas de toucher à mes installations. C’est fait avec les mains et cela s’appréhende avec les mains, c’est naturel de vouloir toucher. J'utilise alors du fil élastique avec une gaine de polyester.  Et depuis le début je travaille avec le même fournisseur en France, Gauthier Fils, à Clermont-Ferrand. Je garde un vrai lien avec elles, toutes les femmes qui travaillent à la production. Quand je fais des installations à l’étranger je viens avec mon fil français.

L’installation ultime ?
J’ai presque peur de la réaliser car je me demande si j’aurai un autre désir aussi puissant que celui-ci. Ce serait de réaliser une très grosse installation en pleine montagne, avant les premières neiges, et de faire des clichés toutes les semaines et la voir se recouvrir de neige petit à petit. Quand je suis à la montagne je suis un autre, ou plutôt moi-même. Alors réaliser une installation dans ce cadre là c’est mon Graal.

La première fois que l’on s’est vus c’était en 2009 à Berlin pour une exposition collective qui s’appelait Le Lien, déjà.
J’espère que le lien est compris aujourd’hui, que c’est une vraie prise de conscience et c’est à nous tous de pouvoir faire les bonnes choses. Depuis longtemps déjà je prends l’argent où il est pour le réinjecter dans ce que je considère être la bonne économie et le redistribuer aux bonnes personnes tout en zappant les autres. Si on arrive à être tous unis et liés, on va avoir une force de frappe qui sera monstrueuse. Et ça commence déjà à se faire ressentir.

Votre regard sur PAïSAN ?
Hyper bienveillant car je me dis que ce sont toutes ces petites initiatives qui vont faire qu'à un moment donné on sera dans la justesse, on va tous se respecter, on va avoir une reconnaissance de la valeur travail de chacun et c’est ce qui nous manque considérablement aujourd'hui. Des sociétés comme la vôtre sont des biens d’utilité publique.

On peut s’enrichir culturellement.
Humainement surtout, savoir que l’on appartient à un même groupe parce qu'on partage les mêmes valeurs, que l’on a même plus besoin de s’en parler parce que cela fait partie de notre éducation. On se reconnaît entre nous. Et puis il y a quand même cet exemple la semaine dernière. Cela fait une vingtaine d’années que je porte du Patagonia du jour où j’ai compris que ce monsieur était une espèce de génie. Et là ce qu’il vient de faire devrait être un exemple pour un très grand nombre d’entreprises mondiales. Ça devrait en faire réfléchir plus d’un.

Un objet de votre quotidien ?
Ma théière en grès.

Un lieu à nous conseiller ?
La Nature. Et particulièrement la montagne. Dès que je vois une ligne de crête j’ai envie d’aller la grimper et de cavaler dessus.

C’est graphique, hypnotique, poétique mais aussi artisanal.
Bien sûr et c’est même une revendication de ma part. Je suis resté très marqué par Walter Gropius, un des fondateurs du Bauhaus. Il disait à tous les prétendants artistes : “avant d’être de bons artistes, commencez par être de bons artisans.” Donc il imposait à ses étudiants de savoir tout faire, menuiserie, céramique, couture, pour eux c’était fondamental. Je considère qu’un bon artiste doit être capable de produire lui-même.

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Respecter le temps de production est une évidence pour un artiste ?
Pour moi ça l’est. Dans ma pratique c’est impossible d’aller vite. Je suis obligé de prendre le temps, la peinture a besoin d’être appliquée à une certaine vitesse pour avoir le meilleur rendu et en terme de gestuelle je rentre dans une certaine forme de routine. Alors je sais qu’il y a des artistes qui vont avoir de grandes périodes de maturation intellectuelle et arriver devant une toile pour la plier en cinq minutes mais moi j’ai besoin de ce temps. Mon corps devient outil et quand je pratique je ne fais qu’acquérir une dextérité de plus en plus fine sur les gestes que je fais. Je deviens l’outil de ma propre imagination.

Vous venez de réaliser une installation dans une ancienne filature ?
Le projet a démarré sur l’invitation de la galerie Danysz et du département de l’Eure qui m’ont proposé de participer aux journées européennes du patrimoine, en choisissant six lieux sur une liste de vingt. Il y a avait cette ancienne filature en ruine, inaccessible pour le public. L’ancien propriétaire de cette usine l’avait construite sur la base de plans de cathédrale, avec des vitraux, une rosace… Cette première filature a pris feu et une deuxième a été construite, plus petite mais qui reste monumentale. Ces filatures étaient alimentées par des machines au diesel localisées dans un troisième lieu de 200 m2 sur 10 m de haut. Quand je suis arrivé sur le site j’ai senti qu’il se dégageait une vibration complètement dingue. Se dire qu’un bâtiment aussi majestueux en ruine a abrité une manufacture t’oblige à te transposer dans la vie de ces gens qui y travaillaient à cette époque là. Le lieu est très bucolique, coincé entre deux bras de rivière, arboré de partout. Il se passe des choses quand on est là-bas. A l’instant même où nous avons ouvert les portes de la filature j’ai eu envie d’y faire une installation.

Vous réalisez également des installations en milieu naturel ?
Quand j’ai le temps. Le plus chouette c’est quand tu te ballades et que tu vois un endroit hyper charmant à l'écart des sentiers battus et là tu te dis qu’il y a quelque chose à faire. Une installation pour récompenser les curieux ou une famille qui se balade le dimanche en forêt et qui se verra offrir une installation, livrée au hasard de leur déambulation.

N’y a-t-il pas quelque chose d’animal ?
C’est totalement primaire, c’est un geste tellement répétitif et tellement basique. Je relis deux points. Je suis un métier à tisser géant et ambulant. Mais chaque fil a sa propre tension pour équilibrer l'installation.

N’est-ce pas ce qui vous donne le plus d’émotions que d’intervenir dans une forêt ?
Dès que je produis, que ce soit en peinture ou en installation, c'est chargé en émotion. Par contre ce qui m’excite le plus c’est quand il y a de vraies contraintes techniques qui imposent de trouver des solutions pour s’adapter au lieu ou au public. Quand il faut adapter l’installation à sa destination et à sa finalité.

La prochaine exposition ?
A l'Hôtel de Ville de Paris, à partir du 15 octobre, dans le cadre de l’exposition Capitale(s) qui célèbrera 60 ans d’Art Urbain à Paris.

Un lien pour une prochaine itw ?
L’artiste Philippe Baudelocque. C’est un individu entier, passionné et mystique dans le bon sens du terme. Il est passionné, passionnant et habité. Il intervient à la craie sur des fonds noirs.

Ai-je oublié une question ?
Non, juste un mot de ma part pour dire que je n'oublierai jamais que vous m’avez donné l’opportunité de réaliser ma première exposition solo en 2010. Preuve que le lien est cultivé.

Cultivez le lien en retrouvant Sébastien Preschoux
sur Instagram @sebastien_preschoux
sur Internet sebastienpreschoux.com
Crédit photo : Ludovic Le Couster