Maison Poursin, laiton durable

 

Les anneaux et les dés de la sacoche PAïSAN sont en laiton, fabriqués par la Maison Poursin, au cœur de Paris. Alors nous sommes allés à la rencontre de Karl Lemaire qui a sauvé cette entreprise, ses machines et le savoir-faire de celles et ceux qui savaient encore les faire fonctionner. Échanges avec un entrepreneur du patrimoine vivant.

Que cultivez-vous ?
La sauvegarde du patrimoine et du savoir-faire métallurgique.

Où sommes-nous ?
Chez Poursin, rue des Vinaigriers, à deux pas du canal Saint-Martin, à Paris 10ᵉ.

Un peu d'histoire ?
Poursin est né en 1830, c’est sous Louis-Philippe Iᵉʳ, nous sommes avant Haussmann, donc ce n'est pas le Paris que l’on connaît aujourd'hui. Puis 180 ans d'existence pour un sauvetage en express en 2016, pour sauver cette usine et cette fabrique totalement hors du temps. Et qui fabrique toujours comme à l'époque.

Sur la façade en bois, il est écrit “Pour la mode, la maroquinerie, la sellerie et l'harnachement”, qui sont vos clients aujourd'hui ?
Les clients sont majoritairement des maroquiniers. Du plus petit artisan à la plus grosse société à dimension internationale et de prestige, ce sont également tous les selliers de France. Et ensuite les équipementiers pour les équipements militaires et plein d'autres secteurs comme les fabricants de colliers de vaches pour les cloches !

Alors des boucles ? Et quoi d'autre ?
Des dés, des boucles en fonte, en fil, en emboutissage, des étriers pour le cheval, des éperons pour les cavaliers, des clés de sellette, des boutons de col, des ornements… Il y a à peu près une cinquantaine de familles différentes d'accessoires métalliques en laiton.

Et pour les particuliers ou les petites commandes ?
On a mis en place le e-shop poursin.com qui permet aux particuliers de pouvoir accéder aux produits sur les très petites quantités et sans minimum de facturation.

Combien de références ?
Nous n’avons jamais pu compter. Nous avons sauvé la société il y a six ans et sommes actuellement à 20.000 références saisies et à vue de nez nous sommes au minimum à 60 000 références que nous n’avons pas encore fini de découvrir.

Il y a encore des trésors cachés ?
Dans chaque tiroir.

Des anciens clients vous ramènent aussi des produits que vous n'aviez jamais vus ?
Bien sûr, par exemple il y a trois ans madame Courrèges avait fait venir son assistante personnelle. Elle voulait retrouver les accessoires qu'elle utilisait à l'époque pour un sac Courrèges. Nous les avions toujours en stock en magasin. Donc nous l’avons dépannée. Beaucoup de clients maroquiniers qui existent depuis plus de cent ans continuent à nous commander exactement les mêmes références qu’à l'époque.

Les propriétés du laiton ?
Le laiton est un produit qui a été un peu boudé au cours des 30 dernières années avec l'évolution de l'industrie qui s’est orientée vers des métaux moins précieux comme le zamak ou l’acier. Le laiton ne casse pas à la traction, contrairement au zamak, et il ne rouille pas. Quand on nettoie le laiton, même malmené, il est comme au premier jour. Il a une douceur et une densité qu'on reconnaît quand on achète un produit de qualité au niveau de la fabrication. Il a un aspect et une sensualité que n'ont pas les autres accessoires.

Le laiton est antibactérien ?
Effectivement et c'est une des raisons pour lesquelles, au XIXᵉ siècle, les rambardes d'escaliers et les poignées de porte étaient en laiton puisque la bactérie est tuée dans les 45 minutes. À la différence de l'inox qui l’a remplacé dans les hôpitaux ou les transports en commun, qui doit être essuyée pour que la bactérie soit tuée.

On parle de laiton massif ?
Ah oui c'est du massif ! On parle même de bronze pour certaines pièces. Pour ce qui est de la pièce fil, on est sur le laiton massif qui est composé de cuivre et de zinc.

Le laiton est durable ?
Il y a évidemment une notion de durabilité. Si je me bats depuis vingt ans pour préserver les productions en laiton, c'est parce que je pense que c’est un métal d'avenir. Le laiton se recycle actuellement à 98 %, donc cela correspond parfaitement aux normes écologiques que je défends depuis toujours.

De quand datent toutes ces machines ?
La maison Poursin existe depuis 1831 et rue des Vinaigriers à Paris depuis 1896. Certaines machines datent du XIXème mais que l’on ne peut plus utiliser car elles ne sont plus aux normes. Il faudrait avoir le statut d’écomusée ou un label qui me permette de les utiliser. Ceci dit, les machines qui fabriquent les ardillons, la signature de la maison Poursin, tournent encore depuis 1919 et datent du XIXᵉ siècle mais acquises après la première guerre mondiale par Monsieur Poursin auprès de l'armée américaine. D’autres machines datent des années 50 notamment celle qui fabrique le dé de la sacoche PAïSAN. Et les machines les plus récentes datent des années 80.

Il faut des gens qui soient capables à la fois de réparer ces machines et de transmettre le savoir ?
Ça me touche toujours qu'on me pose cette question. Quand j'ai repris Poursin, les machines ne tournaient plus et il n’y avait plus que deux salariés car tout le monde avait été licencié. J’ai toujours cru en la valeur humaine et je vais vous raconter une histoire : j'ai contacté à l’époque Monsieur Calai. D’origine indienne, il était resté 27 ans comme simple opérateur, à travailler dans un coin comme on le faisait avec les ouvriers à l’époque. Je l'ai recontacté, alors que l’ancienne direction m’avait dit que ce monsieur ne savait rien faire. Évidemment il savait faire tourner toutes les machines et je lui ai proposé de revenir pour valoriser son fameux savoir-faire et aujourd’hui il est le chef de l’atelier et j’en suis très fier.

Le parcours de production du dé PAïSAN ?
Le dé est une pièce fil, comme du fil de couture sauf que c'est du laiton avec un certain diamètre. Le métal vient de Basse-Normandie, il est livré par bobines de 30 kilos. On positionne la bobine sur le dérouleur, le fil est pris dans la machine, qui date des années 50, l’outil est réglé et la production est lancée. C'est la machine avec l'outil qui va saccader la fabrication de 50.000 pièces par jour. Ensuite, cela passe dans des tonneaux en bois qui vont dégraisser les dés. Pas besoin de refaire de polissage pour ainsi réduire l’impact. Chez Poursin, l'ensemble du laiton qu’il soit en fonte, en feuillard ou en fil, a la même couleur, il n’a pas besoin d’être retraité. C’est une uniformité pas évidente à tenir.

Pourquoi est-ce mieux ici qu’au bout du monde ?
Parce que c'est historiquement l'origine des fabricants des pièces fils laiton depuis 1830. Le bout du monde, cela veut dire transport, pollution, environnement, logistique… Quand tu es à Paris, au bord du canal Saint-Martin et bien les distances sont très raccourcies. Donc pourquoi aller chercher ailleurs ce que l'on a à portée de main ? C'est garanti 100 % made in France, 100 % made in Paris avec les ouvriers et les personnes qui travaillent chez Poursin et leur savoir-faire ancestral.

Le savoir-faire est une garantie de qualité ?
Ici on ne travaille que le laiton, donc c’est déjà un savoir-faire de l'utilisation de la matière parce qu'on ne travaille pas le laiton comme on travaille l'acier ou le zamak. Sur la fabrication d’un dé comme celui utilisé par PAïSAN, tout le monde sait le faire mais pourquoi acheter une nouvelle machine fabriquée à Taïwan ou en Turquie  alors que nous pouvons mettre à profit une machine qui existe depuis 100 ans ? J'utilise ma vieille 4L et j’arrive à faire le Paris-Dakar en arrivant premier, en qualité et en impact pour la planète !

Et bientôt le résultat sur l’impact ira de paire avec le résultat financier.
C'est une des raisons pour lesquelles j'ai sauvé cette maison, comme j'ai sauvé d'autres maisons. Être compétitif pour moi c’est de proposer des conditions de travail qui ne sont pas celles qu’on peut avoir dans d’autres pays et hors Communauté Européenne et arriver à proposer des petites quantités, de qualité. C’est 0,80 € au lieu de 0,03 € mais avec une garantie sur la responsabilité sociale et environnementale. C’est pour ces raisons que l’on nous contacte aujourd’hui. Mais pour moi cela a toujours été l’avenir. Le laiton a aussi des caractéristiques éco-environnementales qui répondent aux exigences. Vive le laiton, #passionlaiton !

Le Covid a changé les choses ?
Énorme ! La période a généré beaucoup de changements. Les consommateurs ont pris conscience que nous étions dépendants. Et les grands comptes sont revenus vers nous :
- “Vous existez toujours ?!” 
- “Mais oui, et votre sujet ne sera pas prioritaire !”
Mon souci principal c’est la sauvegarde du patrimoine et du savoir-faire industriel métallurgique. Mais beaucoup d’entreprises ont aussi disparu ces vingt dernières années, emportant avec elles leurs savoir-faire.

Est ce que le cuir est le meilleur ami du laiton ?
Le laiton est le meilleur ami du cuir au niveau de l'accessoire métallique puisqu'il a des propriétés qui sont adaptées au cuir depuis toujours. Le laiton est le meilleur matériau pour ne pas souffrir de rouille, de cassure ou quoi que ce soit. Ce que je trouve très intéressant au cours de ces dix dernières années, et comme le fait PAïSAN aujourd’hui, c'est l’utilisation de cuir au tannage végétal qui pour moi est le meilleur ami de Poursin. C'est extrêmement intéressant quand on a une dynamique éco environnementale d’utiliser du cuir au tannage végétal qui s'associe très bien avec un laiton poli, ces deux matériaux vont se patiner avec le temps.

Un geste du quotidien ?
Le premier geste chez Poursin : brancher le compresseur qu'on entend en bruit de fond. Parce qu’il permet à toutes les machines de fonctionner. Si on n'entend pas le compresseur, ça veut dire que les dizaines de machines ne tournent pas.

Un objet du quotidien.
Le pied à coulisse, celui avec les petites aiguilles, pour prendre la dimension du fil, son diamètre, savoir si nous sommes à 2,4 ou 2,7 mm… Monsieur Calai a son pied à coulisse sur lui. Le mien est sur mon bureau, dans mon sac, et tout le monde a son pied à coulisse ! 

Un lieu à nous faire découvrir ?
Quand on vient chez Poursin, le canal Saint-Martin, on est à deux pas de l'hôtel du Nord avec l'ambiance du quartier du 10ᵉ arrondissement.

Un lien pour une prochaine interview ?
Indiscutablement Daudé Paris au 49, rue des vinaigriers à quelques mètres d’ici, cette marque française existe depuis 1828, monsieur Daudé a été l’inventeur de l'œillet métallique, du rivet tubulaire métallique et du bouton pression à ressort circulaire !

Une question plus personnelle, un petit mot sur votre grand père ?
Très personnelle. C'est vrai que je suis le petit-fils d'un précurseur de l'agriculture biologique. Je m'appelle Lemaire. Pour les plus anciens, ils ont certainement dû connaître les produits Lemaire. Mon grand-père était un professeur en agrobiologie qui a donc défendu toute sa vie l'agriculture biologique à une époque où on privilégiait le chimique pour les intérêts d'après guerre. C'est une des raisons pour lesquelles, maintenant, dans mes activités métallurgiques, je suis très sensible à l'aspect biologique. J'ai été nourri au blé Lemaire à la farine Lemaire, au pain Lemaire, au chocolat Lemaire qui était assez connu à l’époque. Raoul Lemaire était effectivement le précurseur. J’ai des archives personnelles sur lesquelles on le voit devant le stand des produits Lemaire avec son chapeau haut de forme, sa petite moustache sous l’inscription “Agriculture Biologique”. C’était en 1905. Il a vécu jusqu'en 1972, c'était une grande gueule, on lui attribue d’être LE pionnier de l'agriculture biologique française.

Le coup de gueule de Karl Lemaire aujourd’hui ?
Je pousse des coups de gueule tous les jours ! On est dans une époque où les choses vont soit trop vite, soit pas assez vite. Le coup de gueule du moment : soyons pragmatiques ! Aujourd’hui tout est focalisé sur des tableaux excel sans s’inquiéter du fait que derrière chaque chiffre il y a des hommes, des dynamiques, des atmosphères, des vies… Alors quand j’apprends hier que l’administration ne valide pas le fait que la Maison Poursin soit EPV (Entreprise du Patrimoine Vivant) car il y a une case administrative dans laquelle on ne rentre pas et on ne sait pas me répondre comment changer cela. Alors que Poursin est une image extraordinaire du patrimoine vivant puisqu’on existe encore.

Et Poursin est aussi créateur du vivant ?
Oui, de voir toute cette nouvelle génération depuis le cœur de Paris que l'on soutient depuis 20 ans, de voir la bonne évolution sur ces dernières années, avec de vraies valeurs.

Votre regard sur PAïSAN ?
Je suis très factuel : les faits, les faits, les faits. Et avec une marque comme PAïSAN que je connais depuis la création, vous défendez de vraies valeurs. Et vous n'êtes pas les seuls et je m'en félicite !

Cultivez le lien en retrouvant la Maison Poursin
sur instagram @maisonpoursin
sur Internet poursin.com