Le facteur de Violes de Gambe

 

Que cultivez-vous ?
Du plus lointain c’est un désir d’atelier. J’ai étudié aux Beaux-arts, le désir de peindre comptait tout autant que le désir du lieu où elle se pratique. Après un parcours très éloigné de cela, je me retrouve dans mon atelier et c’est ce dont j’ai toujours rêvé en fait.

Un atelier avec des matériaux et des outils ?
Un état de présence aux choses, à la fabrication. C’est toujours un endroit réjouissant, j’ai toujours adoré les ateliers d’artistes. C’est un endroit de rencontres et d’échanges. Et d’ailleurs ici j’invite des musiciens à se produire en concert.

Vous vous définissez comme un luthier ?
Oui mais je me sens plus comme un facteur de violes de gambe que comme un luthier, dans la mesure où la lutherie que je pratique est très spécifique à la viole de gambe. Je suis dans une démarche historique, étudier les instruments qui sont parvenus jusqu'à nous.

Quelle est l’histoire de la Viole de Gambe ?
Elle apparaît autour du XV, XVIème siècle. Au même moment que le violon mais la famille du violon c’est plutôt pour une musique extérieure, à danser, et populaire. Alors que la viole da gambe c’est la musique aristocrate, de chambre, que l’on joue essentiellement à la cour et dans les milieux très aisés du XVIIème siècle. C’est en France qu’elle trouve son épanouissement le plus important, les français y ajoutent une septième corde, alors qu’elle était à cinq ou six cordes au départ avec les anglais. L’instrument a disparu à la fin du XVIIIème siècle car elle ne s’intègre plus du tout dans l’orchestre. Le répertoire change énormément, et face à la puissance du violoncelle et du violon, la viole de gambe ne fait pas le poids.

Vous vous êtes formés en Angleterre ?
Je jouais de la viole de gambe depuis une dizaine d'années. Quand j’ai pris la décision de me reconvertir, un luthier m’a conseillé l’école West Dean College, dans le Sussex, qui est un conservatoire des métiers traditionnels, de l'ébénisterie à l’horlogerie, la tapisserie, tous les métiers à haute valeur technique.

PAïSAN rencontre Jean-Louis Trocherie - Facteur de Violes de Gambe
PAïSAN rencontre Jean-Louis Trocherie - Facteur de Violes de Gambe
PAïSAN rencontre Jean-Louis Trocherie - Facteur de Violes de Gambe

Et vous commencez par fabriquer deux clavecins ?
Mon intérêt est d’être au plus prêt des instruments originaux, du XVIIème. Après m’être intéressé à la musique baroque, j’ai commencé à jouer de la viole puis j’ai regardé ce que j’avais entre les mains. Le clavecin est un instrument qui m’intriguait. J’ai voulu voir un plan puis l’envie de le construire est venue naturellement. Mon premier clavecin est né ici, j’ai invité des clavecinistes à jouer, ainsi que des facteurs, et tout le monde m’a poussé à continuer. La bascule de la facture de clavecin à la facture de viole de gambe vient du fait que je jouais de la viole de gambe.

Construire une viole de gambe commence par des plans ?
Avec un maître luthier, Shem Mackey qui a remis à plat la manière dont on fabriquait cet instrument. La viole de gambe est réapparue dans les années 70 au moment où les musiciens ont redécouvert la musique baroque, en essayant de retrouver les partitions.

Qu’est ce qui différencie la construction d’un violon et d’une viole de gambe ?
Une viole de gambe n’est pas fabriquée avec un moule. Les instruments ne sont pas symétriques. Chez un même facteur, il n’y en avait pas deux qui avaient les mêmes dimensions, on adaptait l’instrument au musicien en fonction de ses besoins et de sa corpulence.

Quelles essences de bois ?
Pour le fond, les éclisses, et le manche c’est de l’érable, le bois de la lutherie, car il est stable et local. La table est en épicéa et le placage de la touche en ébène. Le fournisseur est dans le Jura : le bois de Lutherie. Ils savent sélectionner et stocker les bois. On utilise aussi des colles animales. Les cordes sont en boyau et non pas en métal, contrairement à la famille du violon depuis le XIXème siècle.

Et quels outils ?
Les outils traditionnels du luthier sont les gouges, pour creuser et sculpter. Des rabots de toutes les tailles, y compris des rabots à dents pour amincir le bois en évitant de le casser. Des petits serre-joints et des presses. Tous les outils sont répertoriés dans l’encyclopédie de Diderot. Quand j’étais en Angleterre, j’allais tous les samedis dans un petit commerce d’outils d’occasion. Il y a là-bas une vraie culture du travail du bois à l’ancienne.

PAïSAN rencontre Jean-Louis Trocherie - Facteur de Violes de Gambe
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Et le lin ?
En étudiant la table de viole originale de Michel Collichon qui est au Musée de la musique à Paris, j’ai observé les bandelettes de renfort en lin posées à la construction. Ce lin qui a cinq cent ans n'a pas bougé. A l’époque, les matières premières, le bois ou le tissu, valaient très cher donc il y avait du réemploi partout. Alors je me suis dit “ce n’est pas possible qu’un luthier au XVIIème siècle aille chez le drapier pour des bandes de lin qu’on ne voit pas”. C’était du réemploi. C’est donc ce que j’ai fait, j’ai utilisé d’anciens rideaux en lin avec exactement la même texture. Et en appliquant la même technique : couper le lin dans la diagonale du tissage pour un renfort de joint vertical. C’est en observant l’instrument original que l’on repère ce détail de construction.

Et le polissage ?
J’ai des petites pelotes récupérées lors de l’évènement sur le lin organisé Place des Vosges à Paris en 2016. C’est excellent pour le polissage.

En s’approchant au maximum de la construction de l’époque, on se rapproche du son d’origine ?
Exactement, et on est dans la même démarche que les musiciens qui lisaient les traités de l’époque et essayaient de comprendre ce qu’ils avaient sous les yeux.

Quel est l’instrument en cours de fabrication ?
Une table de base de viole de Michel Collichon. A la différence des violons, la table est cintrée un cinq parties, ce qui n’est pas du tout la même chose que de faire une table sculptée. 

Quel est le geste de votre quotidien ?
Revenir sans cesse sur mes cahiers de formation pour me replonger sur chacun des gestes.

L’objet de votre quotidien ?
Mon établi.

Un lieu à nous faire découvrir ?
Un conservatoire pour les métiers anciens, The Weald andamp; Downland Museum, à côté du West Dean College, qui répertorie toutes les différentes architectures d’Angleterre, un faux village qui passe toutes les périodes. Et ils reconstituent les métiers de l’époque.  

Un lien pour une prochaine interview ?
Antonis Cardew, un tourneur, avec qui j’ai un projet de fabrication de caisse qui rassemble les violes comme il en existait au XVIIème siècle.

Cultivez le lien en retrouvant Jean-Louis Trocherie
sur Instagram @jeanlouistrocherie_atelier
sur Internet jeanlouistrocherie.com