Les loupiotes de Sarah Morin
Que cultivez-vous ?
Je cultive des luminaires mais plus que cela car j’essaye de cultiver de l’utile, du beau et du bon sens.
Où sommes-nous ?
Nous sommes à Pierrefonds, un petit village au milieu de la forêt, dans l’Oise en Picardie.
Entre les bois et l’étang, au milieu des éléments ?
On vit beaucoup dans le végétal, j’ai quitté Paris il y a une dizaine d'années, c’est très ressourçant de vivre pleinement les saisons. J’habite un village dans lequel il y a un maraîcher, il y a de l'éco-pâturage, cela impose un rythme fort et une certaine espérance, le fait que inévitablement le printemps revienne, il y a un cycle qui est indétrônable.
C’est quoi la calebasse ?
La calebasse c’est un fruit assez dingue. J’ai appris qu’il était ancestral, il m’a d’abord été présenté par un voisin portuguais comme étant la gourde de son grand-père qui était berger. Il m’a donné des graines que j’ai semées au vent. Et en voyant ces fruits j’ai voulu en faire des soliflores pour les transformer en gourdes mais c’est un procédé de cire, pas hermétique. J’ai été amené à les faire sécher et en les voyant suspendues, j’ai eu envie de les mettre en couleur sous la forme d’une série de suspensions. Et c’est là que le fruit s’est révélé. Et j’ai appris par la suite que c’est un fruit qui accompagne l’homme depuis la nuit des temps. On a retrouvé des calebasses dans des tombes libanaises qui datent de 1.800 av JC et cela existe quasiment partout sur terre sous forme de poupées ou de boîtes.
C’est un fruit qui pousse sur la terre ou dans un arbre ?
Il est de la famille des cucurbitacés. je ne suis jamais allée en Afrique, je ne connais pas l’arbre à calebasses mais on m’a expliquée que c’est un arbre qui donne de gros fruits très ronds et épais. Là c’est une liane qui ressemble plutôt au potiron, qui a tendance à grimper et à faire tomber ses fruits exactement comme les lampes.
Le processus entre la graine et la lampe ?
La graine est semée entre mars et avril, en pleine terre, le fruit commence à pousser en juin. En juillet apparaissent les premiers fruits, c’est à ce moment-là qu’il faut arroser pour leur permettre de gonfler mais ce n’est pas une plante qui nécessite un arrosage extrême. Les fruits commencent à avoir une belle forme en août et en septembre-octobre la plante commence à sécher. Et quand la petite tige est sèche, on coupe le fruit pour le mettre à sécher de décembre à février. Il y a un cycle d’un an entre la graine et le fruit que l’on récupère.
Vous faites pousser vos propres calebasses ?
Oui j’ai un jardin dans lequel je les fais pousser et j’apprends encore beaucoup. En urbaine et citadine j’ai cru qu’on plantait une graine et que cela poussait tout seul, mais non, il y a un savoir-faire. J’ai donc une personne qui me fournit en calebasses. Mais je me demande si je ne vais pas limiter la fabrication de loupiotes à la récolte pour imposer une saisonnalité à ce produit.
Et une fois que le fruit est sec ?
Il est alors poncé et percé. Je le mets ensuite en peinture à l’intérieur et à l’extérieur. Je travaille avec une peinture française, Ressources. Elle est classée A+, a une démarche éco-responsable, et a été élue au Patrimoine Vivant cette année. Une des dernières maisons de fabrication de peinture en France. Ils proposent une profondeur de gamme et une qualité de peinture et de pigment hyper intéressante. Et cela m’importe de travailler avec des savoir-faire locaux. Sur certains modèles, il y a du cordon en coton recyclé. Et je vais essayer de le développer en lin. Il y a donc une gamme cordée, une gamme unie et une gamme avec des dessins percés avec un outil de bijouterie qui permet d’avoir des pointes très fines, la Dremel.
Quelles inspirations pour les couleurs ?
Le bleu choisi a un côté graphique qui rappelle le bleu de Matisse et ses danseurs. Certaines loupiotes ont une forme particulière qui, en mouvement, donne l’impression qu’elles dansent. Dans la seconde partie de ma carrière j’ai créé des cahiers de tendances pour les grands magasins donc j’ai un intérêt pour les couleurs et l’air du temps. Ce que je développe se fait aussi par un regard créatif que j’ai sur le monde du design et de la création en général. Je fabrique ce qui me touche.
La calebasse devient loupiote à quel moment ?
Quand elle est électrifiée.
Elles partent où les loupiotes ?
Chez les particuliers et dans les boutiques mais aussi chez les architectes. Je travaille sur un gros projet pour un hôtel barcelonais qui voudrait équiper chaque chambre d’une loupiote unique associée à la décoration de la chambre. Je fais de plus en plus de sur-mesure. Même s' ils ne savent pas exactement ce qu’il vont recevoir car tout dépendra de la forme du fruit. Mais cela plait, les gens accueillent la surprise avec beaucoup de joie.
Vous voulez associer le beau, l’utile et le bon ?
Oui c’est presque un triptyque, trois valeurs qui devraient être fondatrices quand on produit quelque chose. Cela évite de produire mal, de façon délétère. On est dans un monde avec des ressources qui ne sont pas illimités donc en se posant les bonnes questions la beauté doit s’extraire naturellement du duo bon et utile.
Et la place de l’humain ?
Elle est très importante, surtout après avoir travaillé longtemps dans la grande distribution et ses produits fabriqués loin, sans regard sur leur fabrication. Je veux défendre les valeurs démocratiques et de protection sociale. J’avais besoin de remettre du lien avec les gens avec qui je travaille, et connaître les conséquences de ce que l’on fabrique.
Respecter le temps des saisons et le temps de fabrication ?
Oui, le temps que les gens ont besoin pour fabriquer les choses dans des conditions correctes et salutaires. Quand on me commande une lampe, j’explique qu’il y a quinze jours de fabrication pour laisser le temps de réaction en douceur et sérénité. En fait, cela ne pose de problème à personne et je suis sûre que ces bonnes ondes se retrouvent dans la lampe.
La lenteur va avec l’ecodesign ?
Je pense que l’on peut faire quelque chose d’écologique et ultra-rapide. En produisant local on gagne aussi beaucoup de temps, avec le temps de transport réduit mais aussi en trouvant des solutions plus rapidement, il faut avoir une vue globale sur le système de production.
Le prix d’une loupiote ?
Entre 140 et 190 € suivant les pièces, et elles sont toutes uniques. J’ai bon espoir que la loupiote se démocratise, que ce fruit reprenne ses lettres de noblesse, elles étaient dans les tombes des grands rois, alors il n’y a pas de raison qu’elle ne revienne pas dans nos vies courantes, plus on sera nombreux à travailler ce fruit mieux ce sera.
Les gestes avec la calebasse ?
Le premiers gestes avec la culture du fruit pour aider la liane à s'accrocher et lui donner des tuteurs pour l’aider à pousser. Le second geste pour le séchage et le brossage, un peu comme avec le fromage, il faut les frotter régulièrement. Le dernier geste c’est le toucher pour sentir les imperfections à boucher ou respecter une irrégularité qui fera sa singularité.
Un outil du quotidien ?
Le fameux tablier qui m'accompagne du jardin à la finition. Ils sont tachetés de peintures colorées.
Quel regard sur PAïSAN ?
J’ai adoré la démarche avec la recherche de la bonne fibre et la présentation de l’utilisation du tablier avec tous ces faiseurs et faiseuses, c’est un outil commun. C’est très enthousiasmant !
Un lieu à nous faire découvrir ?
Une biscuiterie à Attichy (60) qui s’appelle La Pierre qui Tourne. Ils ont une vraie démarche d’implication sur un terrain local.
Un collectif à nous conseiller pour une prochaine interview ?
Le Bord de l’Eau à Compiègne (60), un lieu de résidence pour des spectacles de théâtre, de danse et de lecture avec une qualité de sélection incroyable.
Une question que nous aurions oublié de poser ?
Je tiens à dire que quand j’ai découvert PAïSAN cela a été comme un écho très agréable de se sentir plusieurs, par ce que vous donnez à voir, à travers un désir commun. C’est enthousiasmant.
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