Stéphanie aime les fleurs
Que cultivez-vous ?
L’art de la trouvaille, de la résonance, l’art de la mesure aussi. Dans un collage végétal, chaque chose doit trouver sa place, mais toujours à hauteur de fleurs.
Comment fait-on un herbier ?
Un herbier est à l’origine un objet scientifique de classification, un répertoire du monde végétal sur un terroir donné à un moment précis. Ma citation à l’herbier traditionnel est mon premier travail sur tissu, c’est comme cela qu’étaient faits les premiers herbiers. Depuis, je me suis éloignée de tout ça, pour donner ma vision du végétal. Que l’on parle d’herbier classique ou revisité, c’est toujours le même travail : récolter un spécimen, le faire sécher, puis le coller.
Quels sont vos supports ?
La question n’est pas celle du fond mais du dialogue, de la rencontre entre une fleur, un brin d’herbe et mon imaginaire. J’aime la peinture, la Grèce antique, Pompéi, la sculpture, l’art moderne, les livres anciens, la photo, la poésie. Vous allez retrouver tout mes amis imaginaires et mon univers, en toile de fond, dans mes compositions. J’ai toujours chiné, à l’âge de 15 ans les objets anciens me parlaient déjà. C’est un monde à histoires qui m’est familier, c’est pour cela que vous allez retrouver des papiers anciens aux teintes fanées dans mes collages, des mélanges de couleurs, des papiers mouchetés par le temps, des photos anciennes d’anonymes, de vieilles cartes de vœux etc.
Chaque pièce est unique ?
Bien sûr, comme chaque végétal. Je garde tout, les feuilles, les tiges, et quelques fois même les racines. C’est l’élément naturel qui donne le ton et dicte une composition. Et puis comme j’aime les papiers anciens, et que j’utilise des matériaux originaux, à chaque fois je n’ai qu’un exemplaire de chaque. Donc oui c’est à la fois excitant et frustrant mais ça n’existe et n’existera qu’en un seul exemplaire.
Une rencontre entre Nature andamp; Culture ?
Les toiles et dessins d’Hubert Robert par exemple. Et puis à titre personnel, ce qui s’est opéré dans ma tête. Je suis originaire de Dordogne, venue à Paris pour travailler en communication pour les maisons de luxe. J’ai pendant très longtemps eu du mal avec cette trajectoire, avec ces origines « nature » et « paysanne » et mes gouts et intérêts pour schématiser très « culture » donc pour moi ces collages sont l’expression profonde de mon identité.
Et la poésie ?
La poésie a d’abord été un regard, avant d’être un apprentissage. La poésie se cultive et s’apprivoise. C’est exigeant d’être un lecteur de poésie, il faut se laisser aller et glisser avec les mots. C’est un parcours, un voyage intérieur. Maintenant je vis avec un poète, un producteur de films d’animations et de séries, qui est aussi et surtout poète. Je crois qu’il a ouvert une porte.
Toujours un lien entre la feuille et le papier ?
Cela me semble aller de soi. Souvent, je suis face à des œuvres et je me dis ça manque de fleurs. Je rêverais d’ajouter mes fleurs sur des œuvres papier que j’aime vraiment. J’adorerais flirter avec le sacrilège comme d’ajouter du végétal sur un Rotko.
Y a-t-il un message écologiste derrière votre travail ?
Ce n’est pas le but premier mais je l’espère. Je souhaite qu’il y ait une position sur le vivant en tout cas. Si vous observez bien mon travail je ramasse des fleurs sauvages, pour ne dire des mauvaises herbes. Je cueille dans les fossés, les bas côtés en Dordogne, sur les bords des chemins, là où l’on ne regarde justement pas les plantes. Pendant le confinement, j’ai cueilli les mauvaises herbes sur les trottoirs de Montreuil, pendant l’heure de balade avec mon chien. Le message est de dire « ouvre les yeux tout est beau, cultivez sur votre balcon, n’achetez que des fleurs de saisons et amusez-vous à faire des bouquets avec ce qui vous tombe sur la main. C’est beau une branche ! »
A Table !
Ahaha A table est né dans une poubelle. J’ai récupéré un vieux livre de cuisine qui trainait là sur un trottoir. Je l’ai ramené à la maison. Des jours après je l’ai ouvert et j’ai vu ces écorchés. Je me suis dit que j’allais faire mon Abattoir Végétal.
Le prochain thème ?
Vous voulez dire les prochains thèmes : Pompéi, Le Paysage, les Indes Galantes, la Parfumerie, les Toiles de Maitres, Fragonard…
Vous êtes une chasseuse de plantes ?
Pas vraiment. Je n’ai aucune connaissance botanique. Je suis une spectatrice sensible aux beautés de la nature, une courbe, une couleur, une forme me touche. On peut surtout dire que je suis une chasseuse d’histoires.
Une plante que vous rêvez de coller ?
Les espèces que j’invente. Généralement, il y a minimum deux ou trois espèces différentes dans une composition. C’est ce que j’appelle mes chimères végétales. Je compose une Plante avec les éléments et mélange les attributs des unes et des autres. Certaines fois c’est assumé et cela se voit et d’autre fois cela accentue le réalisme et l’effet de nature, car comme vous le savez le Beau est toujours bizarre.
Avez-vous déjà vu un champ de lin en fleurs ?
Non je n’ai jamais vu en vrai et de mes yeux un champ de lin en fleurs. Je viens avec vous quand vous voulez pour récolter et presser les fleurs de lin. Je vois déjà le collage PAïSAN sur une reproduction ou une gravure de Millet ou de Corot par exemple avec ces fleurs bleues.
Votre regard sur PAïSAN
Je suis très admirative de votre travail. Ayant bientôt 45 ans, j’ai grandi dans un environnement agricole où plus grand monde n’était fier de ses racines paysannes. Mes grands-parents comme beaucoup des petits agriculteurs de Dordogne pratiquaient l’agriculture subsidiaire mais sinon tout le monde allaient faire ses courses en centre commercial et au supermarché. C’était moderne. On ne parlait que très peu du bio, des filières etc. Tout ça a bien changé. Il y a un réveil des consciences, aujourd’hui les Amap, les ventes directes et marchés de producteurs fonctionnent à plein régime et je crois que nous pouvons être fiers de cela. PAïSAN donne l’exemple et montre que nous pouvons consommer autrement.
Votre objet du quotidien ?
Un grand mug isotherme, contenant du thé, élément nécessaire à ma créativité, des petits ciseaux verts, qui m’ont ouvert les portes du collage, et bien sûr ma collection de livres et de papiers anciens. J’ouvre un livre d’art par jour, c’est ma gymnastique à moi.
Un lieu à nous faire découvrir ?
Tous les ateliers d’artistes, là où les gens ont tenté un truc, cherché un langage, exprimé une émotion à leur façon. Tous ces lieux de travail me touchent. C’est un monde clos, un lieu où l’on peut manger, dormir, une chambre à soi comme dirait Virginia Wolf. Une unité de vie, hors du monde et en même temps dans une communauté. Je crois que si ces lieux me touchent autant c’est parce que se sont en quelque sorte aussi des jardins, des jardins de l’esprit, des espaces à la fois en friche et cultivés, comme l’atelier de Giacometti.
Un lien vers une personne, une future interview ?
Poesie_installigrammes En hommage aux calligrammes d’Apollinaire, Samuel met en regard des poèmes et des images. Il fait avec « des mots » ce que j’essaie de faire avec des fleurs, à savoir que la rencontre crée un effet de sens plus fort que les mots ou les fleurs d’un côté et les images de l’autre. Orchestrer une rencontre sur le papier, comme dans la vie, est déjà une grande aventure poétique.
Cultivez le lien en retrouvant Stéphanie
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